Voyage entre deux inspirations: Guillaume Nery

Merci beaucoup, merci pour votre accueil. Cette plongée que vous venez de voir, c’est un voyage. Un voyage entre deux inspirations. Un voyage qui commence entre deux inspirations, donc entre la dernière inspiration avant de partir, et la première inspiration à mon retour à la surface. Cette plongée, c’est un voyage aux frontières des limites humaines. Un voyage vers l’inconnu. Mais c’est aussi, et surtout, un voyage intérieur. Où il se passe tout un tas de choses, que ce soit physiologiques ou mentales. Et c’est pourquoi je suis là aujourd’hui, parmi vous, pour vous faire partager ce voyage et vous emmener avec moi. Donc on commence par la dernière inspiration. (Inspiration) (Expiration) Cette dernière inspiration, vous l’avez vu, elle est lente, elle est profonde, elle est intense. Je termine par une manœuvre, qu’on appelle la carpe, qui me permet d’emmagasiner un à deux litres d’air en plus dans les poumons, en comprimant cet air là. Je quitte la surface, et j’ai à peu près 10 litres d’air dans les poumons. Je viens de quitter la surface et donc le premier mécanisme se met en marche : le diving-reflex. Le diving-reflex, tout d’abord, c’est le rythme cardiaque qui va chuter. Je vais passer de 60 ou 70 pulsations par minutes à 30 ou 40 pulsations par minutes, quasiment en quelques secondes, presque instantanément. Deuxième effet, on va avoir une vasoconstriction périphérique c’est-à-dire qu’on va avoir les flux sanguins qui vont quitter les extrémités du corps pour aller alimenter en priorité les organes nobles : les poumons, le cœur et le cerveau. Ce mécanisme là, il est inné. Je ne le contrôle pas. Si vous vous mettez dans l’eau, même si vous ne l’avez jamais fait, vous allez avoir ce même mécanisme qui va se mettre en place. Tous les êtres humains, nous partageons cette même propriété. Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’on a en commun ce mécanisme-là avec les mammifères marins. Tous les mammifères marins : les dauphins, les baleines, les otaries, etc. Quand ils plongent en apnée, et qu’ils descendent en profondeur, ils ont ce mécanisme-là qui se met en route, de manière beaucoup plus forte et ça marche beaucoup mieux chez eux évidemment. Ça, c’est absolument fascinant : je quitte la surface et, déjà, j’ai un premier coup de pouce de la nature qui me permet de partir en toute confiance. Je m’enfonce dans le bleu, la pression, tout doucement, va écraser mes poumons, et comme c’est le volume d’air dans mes poumons qui me fait flotter, plus je descends, plus la pression écrase les poumons, moins il y a de volume d’air, donc plus mon corps chute facilement. Et à un moment donné, arrivé à 35 ou 40 mètres, je n’ai plus besoin de palmer, mon corps est suffisamment lourd, suffisamment dense pour pouvoir chuter librement dans les profondeurs et on attaque ce qu’on appelle la phase de chute libre. C’est le meilleur moment de la descente. C’est pour ça que je continue à plonger. Parce qu’on se sent aspiré par le fond et on n’a besoin de rien faire. Je descends de 35 mètres à 123 mètres en ne faisant plus aucun mouvement. Je me laisse happer par la profondeur, et j’ai la sensation de voler sous l’eau. C’est complètement hallucinant comme sensation, une sensation de liberté qui est extraordinaire. Et je glisse, tout doucement, vers le fond. Je passe les 40 mètres, 50 mètres, et entre 50 et 60, deuxième palier physiologique qui intervient : mes poumons arrivent à leur volume résiduel. Le volume résiduel, c’est le volume théorique au delà duquel le poumon n’est plus censé pouvoir se comprimer. Et là, le deuxième phénomène qui intervient, c’est le blood shift. En français, c’est érection pulmonaire. Je préfère « blood shift ». Donc on va dire « le blood schift ». Le blood schift, c’est quoi le mécanisme ? C’est la parois des poumons qui va se gorger de sang, à cause de la dépression, pour pouvoir se rigidifier et protéger toute la cavité thoracique de l’écrasement. Pour éviter que les deux surfaces des poumons ne collapsent, ne se collent, ne s’affaissent. Grâce à ce phénomène, qu’on a aussi en commun avec les mammifères marins, je peux continuer ma plongée. 60 mètres, 70 mètres, je continue de chuter, de plus en plus vite puisque la pression écrase de plus en plus mon corps, et à partir de 80 mètres, la pression devient vraiment beaucoup plus forte, et je commence à la sentir physiquement. Je commence à vraiment sentir l’oppression. Vous voyez à quoi ça ressemble, c’est pas joli joli. Le diaphragme est complètement rentré, la cage thoracique est rentrée vers l’intérieur, et là, mentalement, c’est vrai qu’il se passe un truc. On se dit « bon, là, c’est pas très agréable, qu’est-ce qu’on fait ? » Si j’ai mes réflexes de terriens, qu’est-ce qu’on fait quand on a une contrainte sur terre, quelque chose de pas agréable ? On a envie de résister, on se met en opposition, on lutte. Sous l’eau, ça ne marche pas, ça. Si on fait ça sous l’eau, on risque de se déchirer les poumons, on peut cracher du sang, faire un œdème, et la plongée s’arrête, pour un certain temps, même. Donc ce qu’il faut faire, avec le mental, c’est se dire, la nature est plus forte, l’élément est plus fort que moi ; je laisse l’eau m’écraser. J’accepte cette pression et je me laisse faire. À ce moment-là, je donne l’information à mon corps, mes poumons, tout se détend, je lâche complètement prise et je me relâche totalement. Et là, la pression m’écrase, et c’est pas du tout désagréable. Je sens même une sensation de cocon, je me sens même protégé. Et la plongée peut continuer. 80 mètres, 85 mètres, 90 mètres, 100 mètres. 100 mètres, c’est un chiffre mythique. Dans tous les sports, c’est un chiffre mythique. Natation, athlétisme — et bien pour nous aussi, pour les apnéistes, c’est un chiffre qui fait rêver. Tout le monde veut, un jour, pouvoir aller à 100 mètres de profondeur. C’est un chiffre assez symbolique pour nous, parce que les médecins et physiologistes dans les années 70, avaient fait leurs calculs, et avaient prédit que 100 métres, c’était la limite au delà de laquelle le corps humain ne pouvait pas descendre. Au delà, le corps implosait. Et puis le petit français, Jacques Mayol, vous le connaissez tous, le héros du Grand Bleu, est passé par là, et il a plongé à 100 mètres. Il a même plongé à 105 mètres. A l’époque, il plongeait en No Limit. Il prenait un poids pour descendre plus vite et remontait avec un ballon, comme dans le film. Aujourd’hui, en No Limit, on va à 200 mètres. Moi, je vais à 123 mètres en utilisant la seule force musculaire. Et tout ça, c’est un peu grâce à lui, parce qu’il a bousculé les idées reçues, parce qu’il a balayé d’un revers de la main toutes ces croyances de la théorie, toutes ces limites mentales que l’homme est capable de se fixer. Il a montré que le corps avait des capacités d’adaptation infinies. Je continue donc ma chute. 105, 110, 115, le fond se rapproche. 120 mètres. 123 mètres. J’arrive au fond. Et là, je vais vous demander de participer un peu, et de vous mettre à ma place. Vous allez fermer les yeux. Vous allez imaginer que vous arrivez à 123 mètres. La surface est très très très très loin. Vous êtes tout seul. Il n’y a quasiment plus de lumière. Il fait froid. Un froid glacial La pression vous écrabouille complètement, 13 fois plus grande qu’en surface. Et là, je sais que vous êtes en train de vous dire : « Mais quelle horreur ! » « Qu’est-ce que je fous là ? » « Mais il est complètement malade. » Eh bien non. Moi, c’est pas ça que je me dis, quand je suis au fond. Quand je suis au fond, je me sens bien. J’ai une sensation de bien-être extraordinaire. Peut-être parce que j’ai complètement abandonné toutes les tensions et que j’ai lâché prise. Je me sens bien et je n’ai aucune envie de respirer. Pourtant, il y a de quoi être inquiet, vous l’admettez. Je me sens être un petit point, une petite goûte d’eau, flotter au milieu de l’océan. Et, à chaque fois, j’ai cette image qui me revient en tête. Ce Pale Blue Dot, ça veut dire le petit point bleu pâle. C’est le petit point qu’on voit là, montré par la flèche, est-ce que vous savez ce que c’est, ce petit point ? C’est la planète Terre. La planète Terre photographiée par la sonde Voyageur à 4 milliards de kilomètres de là, et qui montre que nous, notre maison, c’est ça, là. C’est ce petit point qui flotte au milieu du néant. C’est un peu ça, la sensation que je ressens au fond à 123 mètres. Je me sens être un petit point, un grain de poussière, une poussière d’étoile qui flotte au milieu du cosmos, au milieu du néant, au milieu de l’immensité. C’est fascinant, comme sensation, parce que je regarde en haut, en bas, à gauche, à droite, devant, derrière, et je vois la même chose : ce bleu infini, très profond. Nul par ailleurs sur Terre vous pouvez avoir cette sensation-là, de regarder partout autour de vous et avoir cette même vision uniforme. C’est extraordinaire. A ce moment-là, il y a quand même un sentiment, à chaque fois, qui remonte en moi, c’est une sensation d’humilité. Je ressens beaucoup d’humilité quand je regarde cette photo, et quand je me retrouve à cette profondeur-là, parce que je ne suis rien. Je suis un petit bout de rien perdu dans ce grand tout. Et c’est, malgré tout, complètement fascinant. Je décide de repartir vers la surface, parce que ce n’est pas ma place. Ma place, elle est là haut, à la surface, et j’entame la remontée. À la remontée, il y a un gros choc qui se passe, à partir du moment où je décide de remonter. Tout d’abord, il faut fournir un effort colossal pour s’arracher du fond, puisque le fond m’a attiré à la descente, forcément, il m’attire aussi quand je veux remonter. Donc il faut palmer deux fois plus fort. Puis, je suis percuté par un autre phénomène : la narcose. Vous connaissez ce phénomène peut-être. C’est ce qu’on appelle l’ivresse des profondeurs. Ça arrive chez les plongeurs bouteille mais qui arrive aussi chez les apnéistes. Il est causé par l’azote qui se dissout dans le sang et qui sème un peu le trouble entre la conscience et l’inconscient. Il y a plein de pensées qui viennent, à droite, à gauche, ça passe, ça virevolte, je ne contrôle plus rien, Il ne faut surtout pas essayer de contrôler. Il faut laisser faire. On ne contrôle rien. Plus on essaie de contrôler, plus ça devient compliqué à gérer. Troisième truc qui se rajoute : l’envie de respirer. Parce que je ne suis pas un homme poisson, je suis un être humain et l’envie de respirer me ramène à cette réalité. Donc à 60 ou 70 mètres, l’envie devient présente. Et là, avec tout ce qu’il se passe, ça peut être très facile de perdre complètement pied, et de tomber dans la panique. À ce moment là, on peut se dire : « Où est la surface ? Je veux la surface et respirer maintenant. » Il ne faut surtout pas. Ne jamais regarder vers la surface, ni avec les yeux, ni avec le mental. Il ne faut pas se projeter, jamais. Rester dans l’instant présent. Je garde le regard droit devant moi, à la corde. La corde, c’est le lien qui me ramène à la surface. Et je reste concentré là dessus, sur l’instant présent. Parce que si je veux me retrouver à la surface, je panique et si je panique, c’est fini. Le temps, du coup, s’accélère. À 30 mètres, ça y est, enfin délivrance, je ne suis plus seul. Mes apnéistes de sécurité, mes anges gardiens me rejoignent. Ils partent de la surface, on se retrouve à 30 mètres, et ils m’escortent, dans les derniers mètres, là où, potentiellement, les problèmes peuvent arriver. Et à chaque fois, je me dis, quand je les vois : « C’est grâce à vous. » C’est grâce à eux que je suis là ; grâce à mon équipe. C’est une deuxième piqûre de rappel d’humilité. Sans eux, sans mon équipe, sans tous les gens autour de moi, l’aventure des profondeurs serait impossible. L’aventure des profondeurs, elle est collective avant tout. Donc je suis heureux de terminer ce voyage avec eux, parce que c’est grâce à eux que je suis là. 20 mètres, 10 mètres. Mes poumons retrouvent leur volume tout doucement, la poussée d’Archimède m’accompagne vers la surface. Cinq mètres avant la surface, je commence à souffler l’air, pour n’avoir qu’à inspirer dès que j’arrive à la surface. Et j’arrive à la surface. (Inspiration) L’air rentre dans mes poumons, c’est une renaissance, une délivrance. Parce que, oui, ça fait du bien. Le voyage est extraordinaire, mais j’ai besoin de ressentir ces petites molécules d’oxygène qui viennent alimenter mon corps. C’est une sensation extraordinaire, mais, à la fois, c’est un petit traumatisme. C’est un choc pour les sens. Vous imaginez, je passe de l’obscurité à la lumière du jour. Je passe du quasi-silence des profondeurs au brouhaha. Au niveau du toucher, je passe d’un toucher velouté, tout doux, de l’eau, à l’air qui va frotter mon visage. Au niveau du goût, au niveau de l’odorat, il y a cet air qui s’engouffre dans mes poumons. Mes poumons se déploient aussi à leur tour. Ils étaient complètement écrasés une minute trente avant, et là, ils se déploient. Donc tout ça, ça bouleverse quand même pas mal de choses. Il me faut quelques secondes pour revenir à moi, pour être bien présent. Pourtant, il faut que ça aille vite, parce que j’ai les juges en face, qui sont là pour valider ma performance. Je dois montrer que je suis en parfaite intégrité physique. Je fais ce qu’on appelle le protocole de sortie. À peine sorti de l’eau, j’ai 15 secondes pour enlever mon pince nez, faire ce signe et dire « I am OK ». Donc en plus, on me demande d’être bilingue. (Rires) Après tout ce que je viens de faire, c’est pas sympa. Une fois que le protocole est fini, j’ai le carton blanc des juges, et là, c’est l’explosion de joie. Je peux enfin, vraiment, profiter de ce qu’il vient de se passer. Donc le voyage que je viens de vous décrire, c’est la version un peu extrême de l’apnée. L’apnée, c’est pas que ça, c’est loin de n’être que ça. Depuis 3 ans, j’ai décidé d’essayer de montrer un autre visage de l’apnée, parce que quand les médias parlent de l’apnée, ils ne parlent que des compétitions et des records, mais l’apnée, ça n’est pas que ça. L’apnée, c’est être bien dans l’eau. C’est extrêmement esthétique, très poétique et artistique. Alors on a décidé, avec ma compagne, de faire des films, pour essayer de montrer un autre visage. Pour vous donner envie, surtout, d’aller dans l’eau. Alors ces quelques images, je vais vous les montrer, et je vais faire ma conclusion sur ces images. C’est un patchwork de belles images sous l’eau. (Musique) Pour vous dire que si vous essayez, un jour, d’arrêter de respirer, vous allez vous rendre compte qu’arrêter de respirer, c’est aussi arrêter de penser. C’est calmer son mental. Notre mental, au 21e siècle, il est mis à rude épreuve. Il est surmené, tout le temps, on pense à 10 000 à l’heure, on est agité en permanence, et pouvoir se mettre en apnée, c’est, à un moment donné, calmer ce mental. Se mettre en apnée dans l’eau, c’est avoir la chance de goûter à l’apesanteur. Être sous l’eau, flotter, relâcher complètement son corps, toutes les tensions de son corps. C’est le mal du 21e siècle : on a mal au dos, à la nuque, on a mal partout. parce qu’on est tout le temps stressé et en tension. Vous vous mettez dans l’eau, vous vous laissez flotter, comme dans l’espace. Vous vous relâchez complètement. Sensation extraordinaire. vous vous retrouvez enfin en tête à tête avec votre corps et votre mental, avec votre esprit. Tout est apaisé, tous ensemble. Être en apnée, apprendre à faire de l’apnée, c’est aussi apprendre à bien respirer. On respire de notre premier souffle, la naissance, à notre dernier souffle. La respiration rythme notre vie. Apprendre à mieux respirer, c’est apprendre à mieux vivre. Être en apnée, en mer, sans aller à 100 mètres, aller à 2 ou 3 mètres, mettre un masque et une paire de palmes, c’est aller regarder un autre monde, un autre univers, complètement féerique. Voir des petits poissons, voir des algues, voir la faune et la flore, et pouvoir observer ça en toute discrétion Glisser sous l’eau, regarder, revenir à la surface : ne laisser aucune trace. C’est une sensation extraordinaire de pouvoir faire corps avec l’élément, comme ça. Et si je dois donner vraiment le mot de la fin : faire de l’apnée, se mettre dans l’eau, retrouver ce milieu aquatique, c’est se reconnecter. Vous l’avez vu dans la présentation, j’ai beaucoup parlé de cette mémoire du corps qui date de millions d’années, de nos origines aquatiques. Le jour où vous replongerez dans l’eau, où vous vous mettrez en apnée pour quelques secondes, vous vous reconnecterez à ces origines-là. Et je vous garantis que c’est absolument magique. Je vous encourage à essayer. Merci. (Applaudissements)

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