Le Seitai par Olivier Nesmon

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Ki ! Le point de vue limité de l’occident

KITrès souvent quand je demande aux participants d’un ateliers ce qu’ils savent ou comprennent à propos du Ki, il ressort une idée assez courante : “le Ki, c’est l’énergie, ou la force vitale”. C’est exact. Si vous ouvrez un dictionnaire japonais, la traduction pour le mot  Ki va dans ce sens. Cependant, le langage utilisé par la plupart des gens, ainsi que les exemples donnés soulignent, à de rares exceptions près, une compréhension limitée de ce qu’est cette “chose” qu’on appelle Ki. On se borne à l’idée populaire généralement admise, ce qui fait que dans la plupart des cas il n’y a pas de connaissance concrète, et donc utilisable dans la vie. Aujourd’hui, je vais tenter de clarifier et d’élargir la vision de mes lecteurs, en présentant d’abord un point de vue propre à la culture japonaise, ensuite en relatant de mémoire une conversation avec un expert en la matière.

La vision du vieux Japon

Passionné d’arts-martiaux et de culture japonaise, lorsque j’étais ado j’étais persuadé que les japonais vivaient immergés dans un univers de sagesse en aucune mesure avec ce que je vivais dans mon coin de France.

Lorsque je suis allé à Tokyo, j’ai souvent demandé à mes amis de me parler du Ki. Je fus surpris de découvrir combien il leur était difficile d’expliquer leur propre culture à un étranger, notamment en ce qui concerne le “Ki”. Notez que là-bas, ce mot est pourtant utilisé à tout bout de champ dans la vie quotidienne. “Genki” (ça va, aller bien), “kimochi” (agréable), “kehai” (avoir une impression), “yaruki” (la motivation), etc, sont quelques uns des nombreux mots composés avec la racine : “Ki”. Pourtant, quand il s’agit de l’expliquer, les japonais éprouvent la même difficulté que s’il devaient décrire le goût du blanc d’oeuf.

Finalement, c’est mon ami Hitoshi qui m’a mis sur la piste. il me dit qu’il se souvenait que sa grand mère lui disait parfois : “Ki ha Inochi” (le Ki, c’est la vie).
Il ajouta : “les mots composés avec la racine “Ki”, mettent en évidence le fait de ressentir ou de percevoir quelque chose. “Genki” : Gen : la source, l’origine + Ki-, “Kimochi” : Ki + avoir, posséder, “Kehai” : Ki + convoyer, livrer. Tous ces mots indiquent qu’il y a une relation entre deux parties sensibles dotées de la faculté de percevoir et d’émettre une sensation, une émotion. Pour nous japonais, pour qu’il y ait KI, il faut qu’il y ait un échange ou au moins une relation. C’est à dire un contexte qui implique une notion de perception. Réciproquement, quand il y a relation, échange, perception, alors il y a Ki.”

Perception, relation, échange, voila qui m’éclaira beaucoup sur un aspect de la culture japonaise où se percevoir sans prononcer un mot apparait comme une forme de communication. Au Japon, on ressent plus qu’on ne parle avec les mots. Mais cela ne ne s’arrête pas là. Voici une autre idée intéressante.

Un lien entre les êtres vivants

Ainsi, pour les japonais Ki n’est pas limité à l’énergie. Il implique autre chose rattaché au fait de percevoir et qui concerne les êtres vivants. Continuons.
Gronder ou encourager un enfant, poser une main douce sur l’épaule de votre ami(e), flatter un animal de compagnie, sourire à quelqu’un ou parler aux plantes produit toujours quelque chose, une réaction. Même si ce n’est pas forcément identifiable dans l’immédiat. Cependant, si vous répétez l’expérience de façon prolongée, vous  pourrez observer des effets, tant sur le sujet lui-même, que dans la relation établie avec lui.  Maintenant, faite la même chose avec la souris de votre ordinateur, votre tablette, votre voiture, ou votre facture d’électricité. Il ne se passera rien, tout simplement parce qu’ils ne sont pas vivants. La seule relation possible dans ces circonstances sera avec vos émotions et vos propres pensées. 😉

Le Ki est mis en évidence par la perception mutuelle entre deux éléments distincts. Mais ce n’est pas tout. On peut aussi percevoir le Ki chaque fois qu’on établit une relation intérieure, que ce soit avec votre esprit (vos pensées, vos émotions) ou avec votre corps.

Ainsi, dans les arts comme le Seitai, on met l’emphase non pas sur l’énergie elle-même, (bien que sa présence soit indispensable), mais sur les dispositions que chacun peut adopter pour améliorer la qualité et l’intensité de la relation. On constate alors que plus  la relation est de qualité, plus elle produit un effet bienfaisant sur la vie qui se renforce et se dynamise.

Bref, au Japon d’un point de vue pratique, parler du Ki n’est pas vraiment intéressant. Ça n’apporte rien de plus à la compréhension. L’important, c’est de ressentir. Quand on prend les bonnes dispositions, le Ki (la Vie) se renforce.  Maintenant que vous comprenez cela, permettez-moi d’ouvrir une porte donnant sur un paysage que vous n’avez peut-être jamais soupçonné.

Qu’est-ce qu’un être humain

Il y a quelques années, lors d’un voyage en Europe, mon mentor, M. Imoto fut invité à rencontrer les membres d’une organisation spirituelle prônant les bienfaits de la méditation. Assis autour d’un très bon thé, dans une atmosphère feutrée et amicale, la responsable du centre posa à M. Imoto la question suivante :
“Dans notre institution, nous prônons la méditation dans le but de relier l’Homme à son âme et au monde supérieur divin. Selon votre connaissance du Seitai, qu’est-ce que l’âme et comment  envisagez-vous le rapport avec elle ?”

Peu porté sur la question spirituelle et aucunement intéressé par la religion, M. Imoto fut d’abord surpris par la question. Mais après une courte réflexion, il répondit ceci :?”L’univers tout entier est fait d’une substance originelle unique qu’au Japon nous appelons Ki. On peut dire en vous écoutant que Ki se rapproche de ce que vous appelez l’âme, ou énergie divine si cela vous convient mieux. On sait maintenant qu’en se concentrant fortement, cette substance ou énergie devient dense, et entre dans la matière sous la forme de particules élémentaires. On peut dire alors que les particules élémentaires c’est de l’âme très concentrée. Maintenant, cette énergie se concentre davantage et devient encore plus dense. Elle se manifeste alors sous la forme d’un atome. Un atome est donc du ki, ou de l’âme très très concentré. On sait qu’un atome contient une quantité d’énergie extraordinaire, n’est-ce pas ? Lorsque les atomes se concentrent entre eux, il deviennent des molécules. Une molécule, c’est donc de l’âme, ou du ki extrêmement concentré. Lorsque les molécules s’assemblent entre elles, on obtient une cellule. Une cellule est bien l’expression hyper concentrée d’âme. Des molécules assemblées donnent un tissus, puis un organe. Un organe est donc du ki, de l’âme hyper hyper concentré. Et lorsque les organes s’organisent et s’assemblent, on obtient alors un petit être humain. Alors, qu’est-ce qu’un être humain ?” La dame eu un sourire entendu à l’intention de M. Imoto. Je pense qu’elle avait apprécié sa façon de voir et d’expliquer les choses.
Personnellement ce que je tire de cette présentation, c’est le fait que le Ki est naturel en l’humain. Il est indissociable de la vie et de l’existence.

Ki accessible à tous ?

Ainsi, c’est correct de traduire Ki par “énergie” ou “énergie vitale”. Ce serait cependant réducteur d’en rester là. Etudier le Ki ouvre sur une dimension bien plus profonde qui permet d’accéder non seulement aux mécanismes du corps, mais aussi à l’intimité des être vivants.

Parler du Ki fascine et plonge souvent les gens dans l’imaginaire, rêvant peut-être à de pouvoirs “spéciaux” réservés à quelques initiés ou à un groupe ethnique particulier. Cependant, avoir un pouvoir remarquable n’est pas la finalité. Tout le monde peut expérimenter le Ki dans sa vie de tous les jours. Le ki est particulièrement perceptible entre deux amants se donnant la main, dans le regard d’une mère penchée sur son enfant, quand vous croisez le PDG de votre entreprise dans le couloir, dans la foule, quand un artiste entre sur scène, tandis que vous marchez dans un près, au bord de la mer ou dans une forêt, ou encore lorsque vous êtes en pleine introspection cherchant à percevoir les mécanismes de votre corps, votre souffle.

En somme, percevoir le Ki (consciemment ou non) est tout à fait naturel. C’est à la base du Seitai et du travail de Toucher la Vie. Certaines personnes développent ce talent par la pratique, d’autres le font naturellement. D’autres encore vivent “à côté” sans jamais s’en soucier. De grandes prières ou de longues méditations ne sont pas indispensables. Il vaut mieux prendre cela comme une façon méticuleuse de se disposer. En revanche, c’est inutile, voir déconseillé, d’invoquer des êtres invisibles “supérieurs” dans l’intention de faire passer le Ki ou de guérir une personne. Tout être humain a du Ki en lui. Utilisons donc cette faculté naturelle en restant des êtres simples qui bonifient la Vie.

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