Antoine Suarez : Pour une approche quantique de la conscience / Colloque 2013
Le physicien qui a enterré le temps |
Einstein aurait pu réellement bouleverser notre conception du temps il y a un siècle, mais ce bouleversement n’est pas entré dans les esprits, seulement dans nos GPS. Il n’a pas changé notre conception du monde, il n’a même pas été réellement pris au sérieux par les physiciens, ce qu’Einstein lui-même faisait remarquer à son ami Besso peu avant sa mort. Il a fallu attendre le début de notre XXIème siècle, avec Antoine Suarez (ci-dessus) et les résultats des expériences qu’il a fait faire à l’équipe de Nicolas Gisin (en vert sur la photo ci-dessous), pour que les physiciens commencent à prendre au sérieux le fait que notre idée commune d’un temps qui s’écoule en même temps que se crée la réalité est forcément une idée fausse. Au contraire, la physique nous positionne de plus en plus devant l’idée que le futur pourrait être déjà là et que le temps, s’il existe encore, doit être dissocié de l’ordre d’enchainement des évènements, c’est à dire de la causalité. Ce constat a été confirmé récemment par d’autres expériences et a été rejoint par la fameuse Théorie de la Gravité Quantique à Boucles selon laquelle la réalité que nous voyons se réaliser chaque jour ne se construit pas dans le présent.
Les fameuses expériences de Genève menées par Antoine Suarez entre 1998 et 2001 et leurs variantes plus récentes de 2010 à 2012 ont finalement eu raison du mur déjà fendu par Einstein en obligeant les physiciens à prendre enfin en sérieux l’idée qu’il fallait totalement réviser notre conception du temps. De plus, elles apportent des informations complémentaires – brièvement résumées par les citations ci-dessus – qui posent des questions cruciales sur la nature du monde physique. En 2001, son équipe a reproduit et étendu la fameuse expérience d’Alain Aspect de 1982 qui avait mis en évidence la non localité, c’est à dire le constat que des phénomènes en mécanique quantique pouvaient être indépendants de l’espace. En effet, aucune communication entre deux objets très distants (ici des particules jumelles) n’était nécessaire pour qu’ils se comportent comme le même objet. Si l’on prend par exemple l’image d’un dé, tout se passait comme si les particules formaient à l’origine un seul dé dont on pouvait déduire la face cachée (pas encore lue) de sa face visible (lue), sauf qu’avec les particules les numéros ne se forment que lors de leur lecture, mais ceci est une autre histoire. Dans l’expérience de Genève les physiciens ont utilisé des miroirs et détecteurs en mouvement afin de montrer que la non localité quantique pouvait être non seulement spatiale mais aussi temporelle, c’est à dire que l’ordre des évènements pouvait être indépendant du temps ! Il fallait cependant exploiter des effets relativistes pour mettre en évidence un tel « désordre » chronologique. Pour ce faire, deux appareils de mesure distants analysant deux photons ont été mis en mouvement de telle sorte que selon le premier appareil, un photon était analysé avant que le second photon ne le soit par le second appareil, alors que simultanément, selon ce second appareil, le second photon était analysé avant le premier photon! Dans une telle configuration, aucun des deux photons n’était finalement analysé en second, donc aucune communication n’était possible entre les deux, quelle que soit la vitesse hypothétique. Les physiciens ayant conçu l’expérience s’attendaient alors à voir disparaitre dans ce cas de figure les corrélations entre les photons, bien que la mécanique quantique prédise la subsistance des corrélations. Or il s’est avéré que c’est la mécanique quantique qui avait raison, confirmant ainsi l’insensibilité au temps des corrélations quantiques. La conclusion tirée de cette expérience est que compte tenu de l’inversion chronologique constatée, l’information ou coordination qui était à l’origine de la corrélation entre les deux photons et qui n’est apparue qu’au moment de la mesure n’a pas pu transiter comme un signal fantôme de l’un vers l’autre. Elle était donc non seulement indépendante de l’espace mais aussi du temps.
Le 11 mai 2013 à Paris, durant le colloque* << Pour une approche quantique de la conscience >> organisé par Jean Staune – auteur du livre Notre existence a-t-elle un sens ? que je vous conseille – Antoine Suarez a fait une conférence passionnante où il est revenu sur cette expérience et en a présenté d’autres plus récentes (2010 et 2012) pour nous donner ensuite ses interprétations en ce qui concerne la conscience et le libre arbitre. Dans cette conférence, il a commencé par expliquer qu’il a réalisé à l’origine sa première expérience pour démontrer que la mécanique quantique avait tort, car selon lui la causalité temporelle cachée supposée être à l’origine de la corrélation des particules devait être respectée. Pour cela, son expérience était conçue pour que chaque particule puisse faire le choix de son état mesuré en premier. Aucune particule ne pouvait ainsi tenir compte du choix que l’autre aurait faite avant elle et en conséquence, leurs corrélations à distance devaient disparaître. Si cela avait été le cas, son équipe aurait surement eu le prix Nobel, mais l’expérience a donné un résultat inverse à ce qui était prévu. Antoine Suarez nous a expliqué ensuite que le vendredi 22 juin 2001, durant la présentation des résultats de ces expériences qui ont conduit à l’échec de son idée, il a eu l’impression d’assister à son enterrement. Après la pause de midi un contrôle des appareils a été effectué et un des analyseurs était mal orienté, ce qui invalidait le résultat. Les mesures devaient être refaites la semaine d’après et l’espoir de battre la mécanique quantique était donc encore là. Cependant, le mardi 26 juin il a eu une illumination soudaine: << j’ai compris que la physique quantique avait raison et que j’avais été victime d’un préjugé de causalité temporelle: le résultat de l’expérience n’allait pas enterrer Antoine Suarez, mais il allait enterrer le temps.>> Je vous laisse découvrir en audio sa conférence que j’ai moi-même enregistré sur place (le début est coupé car trop bruité mais je l’ai introduit par ce qui précède): ( Pour télécharger la conférence audio, cliquez ICI ) Dans le cas où vous n’auriez pas le loisir de l’écouter, je vous en résume un peu la suite du contenu. Antoine Suarez se propose de nous expliquer pourquoi, selon lui, la conscience et le libre arbitre jouent un rôle actif de coordination de l’espace-temps. Tout en prévenant qu’il ne s’agit plus ici de physique standard mais de spéculations, il affiche son objectif de nous montrer que l’aléatoire quantique peut être controlé de l’extérieur de l’espace-temps par une volonté, et que l’on peut ainsi parler de contrôle non matériel des réseaux neuronaux de notre cerveau. Afin d’argumenter ce point de vue, il nous décrit une expérience récente réalisée en 2012, inspirée d’une expérience de pensée qu’Einstein avait proposée en 1927, dans laquelle un photon est émis vers deux détecteurs distants. Selon la mécanique quantique standard la décision du résultat (quel détecteur clique) se passe à la détection. En mettant les détecteurs suffisamment loin l’un de l’autre on peut assurer qu’il ne peuvent pas communiquer entre eux par des signaux matériels se propageant à la vitesse de la lumière. Toutefois on observe une corrélation parfaite entre les deux détecteurs : si l’un clique, l’autre ne le fait pas. Ceci démontre qu’il y a une coordination non locale (non matérielle) entre les deux détecteurs. Sans cette coordination, les deux détecteurs cliqueraient au hasard et il en résulterait qu’avec un seul photon provenant de la source, les deux détecteurs cliqueraient dans 25% des cas et aucun des détecteurs ne cliquerait dans 25 % des cas également, ce qui poserait un problème de conservation de l’énergie. Sachant qu’une coordination est toujours observée entre les résultats, malgré l’impossibilité d’un signal fantôme supraliminique déjà révélée dans les expériences antérieures, il en conclut, en pesant lentement ses mots, un aspect tout à fait inédit du résultat de cette expérience récente, je le cite: << Un aspect qu’Einstein n’avait pas mis en lumière, c’est que si vous n’avez pas cette coordination à distance, alors la loi la plus fondamentale qui règle l’univers matériel – la conservation de l’énergie – disparait. Donc, pour avoir une matière qui fonctionne de façon sensée, nous avons besoin d’une coordination qui n’est pas matérielle >>. Retenez ceci, cela a de quoi faire réfléchir: pour sauver la loi de conservation de l’énergie une coordination immatérielle est indispensable ! Il revient ensuite sur le fameux problème de la mesure en physique quantique, qu’il associe au problème de l’irréversibilité en physique: Quand peut-on dire d’un résultat mesuré qu’il est acquis et irréversible ? Voila la question ! Est-ce au moment de la prise de conscience par l’observateur ? Il cite alors Bernard d’Espagnat dont il déclare rejoindre le point de vue en considèrant que ceci a à voir avec le phénomène de la conscience. Pour illustrer le rôle qu’elle pourrait jouer, il nous montre une variante de son expérience produisant une séquence de bits 0 ou 1 dont il explique que la physique quantique est incapable de prédire l’ordre de séquencement, ce dernier étant ainsi nécessairement guidé par un principe de coordination qui n’est pas matériel et qui provient de l’extérieur de l’espace-temps. Il ajoute que chaque jour à chaque moment, nos cerveaux pourraient fonctionner comme des interféromètres qui produisent de telles séquences d’origine non matérielle, sauf que dans le cas des interféromètres les séquences produites seraient vraiment aléatoires, faute d’une conscience éveillée qui produise sur elles un effet structurant. Il conclut enfin que: << Dans le monde quantique des choses se passent mais le temps, lui, ne passe pas. Le visible émerge de l’invisible, la matière de la conscience, et le temps est tissé d’éternité >> |
Source : http://www.doublecause.net/index.php?page=Antoine_Suarez.htm
(316)